Geburtstag
07 Oktober 1952
Wladimir Putin
#59627 | Informationsbrief
Frankreich , 29.01.2023
Cher Monsieur
Vladimir Poutine

L’EXPLOITATION COMME DOMINATION


Chez Marx, le concept d’exploitation est doté de deux fonctions. La première est théorique : caractériser l’une des caractéristiques structurelles des sociétés avec classes. La seconde est critico-utopique : ce concept est mobilisé dans le cadre d’une critique des sociétés dans lesquelles s’est affirmée l’exploitation de l’homme par l’homme, et il est porteur de l’exigence d’une société sans exploitation, la société communiste. C’est sur le seul plan théorique que le lien de l’exploitation et de la domination sera examiné dans ce qui suit, mais ce lien n’en est pas moins déterminant sur le plan critico-utopique. En effet, la critique de l’exploitation ne relève pas chez Marx de la critique de l’injustice mais de celle de la domination, le concept de justice tombant sous la critique de l’idéologie chez Marx, ce qui n’est pas le cas du concept de domination [1][1]Sur la question difficile de la « critique de la morale » chez….
2La fonction théorique du concept d’exploitation, elle aussi, est double. En effet, ce concept remplit des fonctions différentes au sein des deux types de théories dans lesquelles il est investi : d’une part, une théorie matérialiste de l’histoire (au sens où l’histoire est l’histoire de l’exploitation, du moins dans les sociétés avec classes), d’autre part, une théorie du capitalisme où il s’agit de rendre compte des spécificités de l’exploitation capitaliste. La première théorie est développée principalement dans L’Idéologie allemande et le Manifeste, la seconde dans Le Capital. Il est peu contestable que la théorie de l’exploitation capitaliste était dans l’esprit de Marx un prolongement, ou une application, de la théorie matérialiste de l’histoire. Cependant, dans la mesure où seul Le Capital constitue une théorie au sens fort du terme, au sens d’une unité systématique de concepts et de thèses dotée d’une justification interne, Le Capital peut être étudié pour lui-même et non pas comme l’application d’une autre théorie [2][2]Ces points ont été soulignés notamment par G. Duménil, voir par…. C’est seulement de l’exploitation capitaliste, telle qu’elle est analysée dans ce dernier ouvrage, qu’il sera question dans ce qui suit.
3Nous commencerons par indiquer pourquoi la conception marxienne de l’exploitation n’est pas fondée entièrement sur la théorie de la valeur. Ensuite, nous distinguerons les différentes formes de domination qui interviennent dans le mécanisme de l’exploitation capitaliste. Dans un troisième temps, nous considérerons une objection à la thèse suivant laquelle l’analyse marxienne du rapport entre domination et exploitation est indépendante de la théorie de la valeur. Nous conclurons en cherchant à mettre en lumière ce qui semble constituer l’intérêt durable de l’analyse marxienne du rapport entre domination et exploitation capitaliste.
Exploitation capitaliste et valeur
4Le fait que le concept d’exploitation intervienne dans deux théories différentes mérite d’être souligné parce qu’il implique que ce concept fait l’objet d’une élaboration théorique partiellement indépendante de la théorie de la valeur. Dans le cadre de la théorie matérialiste de l’histoire, le concept d’exploitation désigne l’appropriation directe ou indirecte par une ou plusieurs classes dominantes du surtravail dépensé par une ou plusieurs classes dominées. La problématique de l’exploitation se formule alors indépendamment de la théorie de la valeur, puisqu’elle concerne des sociétés qui, pour la plupart, ne donnent pas à la richesse la forme de la valeur. Dans Le Capital, il s’agit en revanche d’étudier les formes d’exploitation propres aux sociétés qui donnent aux richesses la forme de marchandises, ou de la valeur. On pourrait donc s’attendre à ce que la théorie de l’exploitation y soit fondée sur la théorie de la valeur. Cependant, le concept d’exploitation capitaliste reste pensé dans cette théorie comme une spécification du concept d’exploitation élaboré sur le plan plus général de l’histoire des sociétés avec classes.
5Il est indéniable que dans le cadre du Capital, le concept d’exploitation est abordé principalement du point de vue de la théorie de la survaleur, notamment dans le chapitre VII et le lien établi entre « taux de survaleur » et « degré d’exploitation de la force de travail ». Puisque le concept de survaleur présuppose le concept de valeur, il semble légitime d’en conclure que la théorie de l’exploitation qui est développée dans Le Capital est totalement dépendante de la théorie de la valeur. Et si l’on considère, comme c’est souvent le cas, que la théorie marxienne de la valeur a perdu toute pertinence, on sera conduit à penser que la théorie marxienne de l’exploitation ne permet plus d’étudier de manière pertinente les processus économiques qui structurent les sociétés contemporaines.
6Cependant, la théorie marxienne de l’exploitation spécifiquement capitaliste est partiellement indépendante de la théorie de la valeur, et le rapport entre exploitation et domination relève précisément de ce qui ne présuppose pas la théorie de la valeur et peut continuer à être jugé pertinent, que l’on accorde ou non une pertinence à la théorie de la valeur. Il convient en effet de distinguer, dans la théorie de l’exploitation proposée par le Capital, ce qui relève d’une théorie de la domination et d’une théorie de la valeur. Cela revient à distinguer entre, d’une part, la théorie des formes de domination qui contraignent les travailleurs à vendre leur force de travail et à produire un surtravail appropriable par les capitalistes, et d’autre part, la théorie de la valeur qui permet d’expliquer quel type de marchandise est la force de travail susceptible de produire un surtravail et à quels types de variations est soumise la survaleur qui correspond au surtravail.
7Il ne fait pas de doute que ces deux dimensions de la théorie de l’exploitation capitaliste sont interconnectées dans les analyses de Marx et que seule leur prise en compte conjointe permet de restituer la cohérence et les intentions de cette théorie. Marx cherche en effet à montrer que c’est l’exigence proprement capitaliste de production de survaleur qui donne sa finalité aux formes de domination qui sont à l’œuvre dans le mécanisme de la production et de l’appropriation du surtravail sous forme de survaleur. Il n’en reste pas moins que la théorie des formes de domination qui sont à l’œuvre dans l’exploitation capitaliste est partiellement indépendante de la théorie de la valeur au sens où elle n’est pas fondée sur la théorie de la valeur mais, premièrement, sur un concept d

Cordialement, Hervé Bellec
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